C'était pourtant un vendredi comme les autres, qui avait plutôt bien commencé. Une journée de boulot sans encombre majeure. Mais voilà, tout ne roule pas toujours comme sur des roulettes.
Ceux qui ont pris l'habitude de lire ce genre de billet le savent : j'ai des goûts de chiotte et j'aime aller à des concerts de merde. Histoire de ne pas déroger à la règle, j'avais décidé ce soir-là d'aller écouter un peu de poésie. Sur le papier, ça s'annonçait plutôt bien : un peu de cantiques russes (en anglais ?) chantonnés par Euglena et un peu de bons sentiments et de joie de vivre signés Plèvre. Rien de mieux pour passer une bonne soirée, en somme. Que d'illusions !
Date : le 23 octobre 2015. Lieu du méfait : Le Trokson, à Lyon. Le genre d'endroit tellement mal famé en cette capitale des gaules que les concerts y sont gratuits. C'est dire si les groupes qui s'y produisent ont la renommée qu'ils méritent ! Plèvre doit s'y sentir comme dans son berceau pour avoir envie d'y débuter sa tournée en compagnie des russes d'Euglena et de ne même pas avoir la politesse de les laisser jouer en premier. Peut-être parce que les russes ont tellement peu de savoir vivre qu'ils ne savent même pas aligner deux mots en français et qu'ils méritaient bien de ramasser les miettes en fin de soirée. On peut toutefois échanger avec eux en anglais - pour les chanceux - sur leurs ambitions et leurs petits bonheurs dans la vie.
Mais revenons à nos moutons. Arrivée sur place dans les temps, vers 20h30. L'heure à laquelle les festivités devaient débuter. Mais comme le mot "ponctualité" ne fait pas partie du vocabulaire des musiciens (ni des lyonnais, en général) et que ces mecs-là respectent moins leur public que le barman qui fait son chiffre sur les pauvres imbéciles venus se saouler pour supporter leur musique, il faudra boire plusieurs godets avant de profiter des douceurs sonores que les deux groupes ont concoctées.
Plèvre au Trokson en février 2015 pour sa tournée avec Anna Sage |
On sent que les moyens financiers sont faibles : pour seul éclairage, une lampe de chantier vacillante et pendue au plafond, histoire de nous donner le mal de mer dans un endroit qui ressemble pas mal à une cale de négrier. Il y a aussi un stroboscope posé sur le sol. Mais on peut pas vraiment dire que cette merde éclaire grand chose. Nos ombres font des va-et-vient sur les murs, à la lueur de cette lanterne, tandis que les premières notes vrombissent des amplis poussés au maximum. Et ça commence. Pauvres larves que nous sommes. Violent, brut, rapide. Comme on s'en doute quand on a déjà écouté l'EP de Plèvre (en versant quelques larmes), ça tape vite et ça tape fort. Et on ne parle pas ici uniquement du batteur. Oui, parce que même les gratteux - qu'ils soient bassiste ou guitariste - aiment taper avec leurs poings sur leurs micros d'instruments à manche déjà bien malmenés. Un truc tellement improbable qu'il donne un peu de cachet à toute cette pitrerie.
Tu as des bouchons d'oreille ? Tant mieux pour toi. Tu as oublié tes bouchons d'oreille ? Tant mieux pour toi aussi car tu ne louperas pas une miette du spectacle sonore qui vient transpercer tes tympans avec une violence assez peu commune. Tu essaies donc de te réfugier dans le fond, car tu estimes que les corps présents autour de toi vont absorber les ondes sonores se répercutant sur les murs et la voûte de cette maudite cave. Raté. T'en prends plein la gueule, comme tout le monde, et c'est finalement pas si désagréable que ça. C'est plutôt étrange et le spectacle visuel que propose le groupe (dont tu loupes quelques bribes tout ça parce que, comme un con, tu t'es mis en retrait dans le fond justement) donne vie à une musique à peine supportable et des textes incompréhensibles. Au bout de quelques deux ou trois morceaux, ton corps s'est habitué et apprécie presque ce qu'il supporte. Ce n'est pas que tu es devenu masochiste. C'est simplement que tu commences à percevoir le petit côté fun et intéressant de la chose.
Plèvre jouera dix morceaux. Un vrai marathon dont les athlètes sont bel et bien les quatre gus qui sont face à leurs amplis, comme possédés, et qui fondent devant toi comme neige au soleil. C'est sûr que dans ce genre d'évènement, ce n'est pas vraiment le public qui transpire le plus. Faire un pogo là-dessus ? N'y pense même pas, à moins que tu saches imiter le marteau-piqueur à la perfection. Finalement, tout ce vacarme s'achève comme il avait commencé : soudainement. Tu as l'impression d'avoir retrouvé l'ouïe (et la vue une fois que le stroboscope a lâché son dernier flash). La salle applaudit l'effort et tu te rends compte qu'il y a quand même un paquet de monde autour de toi. Plèvre n'excelle sans doute pas dans les caresses auditives mais on peut dire que la com' est un sujet plutôt bien maîtrisé.
Euglena lors d'un concert quelque part en 2013. |
Euglena, sans avoir à rappeler que ces mecs-là sont russes (de Saint Petersbourg plus précisément), c'est un peu le genre de groupe qui s'est dit : "On va faire de la musique de merde, mais pour pas qu'on nous fasse chier, on va trouver un mec bien balèze et le mettre au chant, histoire d'être pépère". En effet, ce gars-là, t'as pas trop envie de le croiser quand il est dans un mauvais jour ou tout simplement de lui chercher des noises. En plus d'être doté de cordes vocales plutôt robustes, l'animal dispose d'un physique suffisamment imposant pour te faire adhérer assez rapidement à ses textes. On n'y comprend pas grand chose mais on sent que ça vient de bien profond dans son âme et qu'il n'y a pas que de la joie dans ses tripes. Moi qui croyais que la Russie était pourtant un pays où il faisait bon vivre et où on chantait du t.A.T.u. à tous les coins de rue, me voilà tombé de haut.
On en prend donc plein les oreilles, une fois de plus, et comme on commence à être habitué, la pilule passe plutôt bien. Les russes sont apparemment bien contents de voir autant de monde confiné dans cette cave pour venir voir leur set et s'accorderont même un mini rappel en jouant un dernier morceau de clôture après une courte pause. C'est généreux et on sent que l'ambiance est bonne malgré la forte odeur de sueur qui commence à se faire sentir sous cette voûte.
Alors, en sortant, tu essaies d'en savoir un peu plus sur qui sont les mecs qui ont joué pendant la soirée. Tu te dis qu'ils sont peut-être à fond dans leurs personnages, tristes à vouloir se pendre et adorant Satan comme personne mais non, ces gars-là sont calmes et gentils comme des chatons. Bande de vendus ! Si gentils qu'ils prennent même le temps de discuter avec toi si l'envie t'en prend. et sont même prêts à faire du zèle en signant le moindre produit merdique qu'ils te proposent d'acheter au merch'. Décevants, je te le dis !
Soyons sérieux un instant. N'est pas n'importe qui celui qui veut aller voir ce genre de groupes à un concert. Et comme c'était mon dépucelage en la matière, je vais la faire courte : certes, c'est fort, rapide, violent, ça fait pas marrer et ça ne pousse pas trop à la communion avec tes semblables pendant le concert. Mais le spectacle est singulier, puissant, dérangeant presque. Et l'ensemble en devient d'un intérêt tout particulier et attise aussi bien les sens que la curiosité. Et le plus dingue, c'est qu'aucun acouphène n'aura été à déplorer le soir en se couchant ou le lendemain au réveil, preuve que ce n'est finalement pas le bout du monde que d'aller écouter "ça". En plus de ça, les gars qui "jouent" ce genre de musique sont parfois amicaux et souriants, en plus d'être accessibles pour discuter de tout et de rien autour d'une bière en fin de soirée.C'est sûr qu'il faut être un poil masochiste pour aller chaque semaine à ce genre de concert mais l'expérience est unique et toute personne aimant assez la musique tout en étant suffisamment curieuse se doit de braver le bruit et la violence de ce type de soirée au moins une fois. Pour voir et entendre. Non. Pour la vivre, finalement. Et puis, ce qui compte, c'est que j'ai survécu, donc ça doit être à la portée de n'importe quel autre imbécile venu.
Merci donc aux deux groupes et plus spécialement à Plèvre pour les mots d'amour (cc!). Les crédits de la première photographie reviennent à monsieur Hazamodoff et vous pouvez aller voir le reste de ses photos sur sa page Flickr, notamment les photos d'un des concerts de Plèvre avec Anna Sage en début d'année 2015.
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