Album : Guidance
Sixième Album
Sortie : 2016
Genre : Post-Métal, Post-Rock sombre et épais, Instrumental
Label : Sargent House
Morceaux à écouter : Vorel, Mota, Lisboa
♥♥♥♥(♥)
> Ecouter l'album via BandCamp <
> Ecouter l'album sur Youtube <
Quoi de neuf ? Presque trois ans ont passé depuis la sortie du très bon Memorial qui avait amené le trio de Chicago à creuser encore plus profond dans son univers musical lourd, pesant et dense mais ô combien riche et bien exécuté. Et voilà un nouvel album dans les bacs qui, dès le visuel, annonce garder cette direction musicale : le groupe a choisi de conserver la bichromie pour illustrer un sixième effort dans la même veine que l'album précédent, et on ne va pas bouder notre plaisir à l'idée de découvrir ce que les trois musiciens ont à nous offrir avec la même recette. En soi, donc, pas de grande nouveauté : mêmes membres, même label et pas de grande évolution dans la musique (de prime abord en tout cas). Toutefois, on notera un nouveau producteur en la personne de Kurt Ballou (guitariste du groupe Converge et qui a notamment produit les albums de Code Orange, parmi tant d'autres) qui vient remplacer Brandon Curtis après ses loyaux services sur les trois albums Geneva, Empros et Memorial.
Des bases inchangées. On parle beaucoup de l'évolution (ou non) de la musique d'un groupe au fil de sa carrière. Dans des formations où on compte quatre musiciens ou plus, il paraît légitime que les possibilités soient immenses et que seuls le talent et le culot s'avèrent être les limites à un groupe pour proposer des choses différentes d'un album à l'autre, pour le meilleur ou pour le pire. Prenons par-exemple Linkin Park ou Bring Me The Horizon qui ont creusé un fossé monstrueux dans leurs approches musicales respectives entre leurs premiers albums et ce qu'ils sont désormais devenus en 2016. En ce qui concerne Russian Circles, pas de chant et trois musiciens pour tout ce qu'il y a de plus basique dans une formation de Rock/Métal : une basse, une guitare et une batterie. De par ces ingrédients restreints, le groupe a dû travailler sa technique de production pour toujours proposer de nouvelles choses (ou s'entourer d'autres musiciens comme sur l'album Geneva où on pouvait entendre du violon, du violoncelle et même des cuivres). Guidance est un sixième album qui met une fois de plus en relief les capacités du trio de Chicago à user de loopers ou pédales aux effets complètement dingues pour pousser encore plus loin ses expérimentations sonores et se renouveler. Et on ne parle pas de la machine Turncrantz qui, derrière ses fûts, habille l'ensemble de rythmiques toujours aussi vivantes ("Afrika"). Des bases inchangées, donc, mais qui n'empêchent pas les américains de faire vibrer nos tympans tout en titillant nos émotions en usant d'un équilibre quasi-parfait entre poésie et puissance rarement atteint auparavant.
Épique et poétique. Ce n'est pas une nouveauté, Russian Circles n'a jamais proposé des albums à la tracklist chargée. Avec seulement sept titres au compteur, Guidance ne déroge pas à la règle et conserve l'aspect narratif que le groupe a toujours développé sur ses albums. Avec une ouverture sur "Asa", morceau davantage introductif de l'imposant triptyque "Vorel"/"Mota"/"Afrika" plutôt qu'une réelle composition à part entière, Russian Circles nous plonge instantanément dans l'univers de ce Guidance avec émotion et poésie. Et c'est bien là la marque de fabrique d'un groupe qui n'a jamais fait les choses à moitié. Certes, les pièces sont progressives, évoluent sur la durée et sont pratiquement toutes construites sur le même schéma qui se résume à une montée constante en puissance pour atteindre un climax et ensuite lentement se décharger pour un retour au calme mais chaque titre conserve une tonalité qui lui est propre, sans ralentissement brut ou perte de force, justement. Ainsi, les compositions de Russian Circles n'apparaissent pas en dents de scies et il est assez facile de mettre une étiquette sur les morceaux : "bourrin" ou "violent", "épique", "léger", "mélancolique" ou même "calme". Et ce Guidance en est la preuve : alors que cet "Asa" apparaît plutôt "léger", "Mota" possède davantage un caractère épique avec son envolée épaisse et grasse à deux minutes et cinquante-cinq secondes pour terminer sur un riff incitant presque à la guerre. En comparaison, "Overboard" serait davantage mélancolique tandis que "Calla" n'est que pure énergie, sans doute le titre le plus sombre et le plus violent de cet album. Ces différences d'ambiances d'un titre à l'autre font de Guidance un album d'une grande richesse. Et que dire de "Lisboa" et son tempo si lent qu'on croirait s'endormir s'il n'y avait pas l'éveil d'une guitare électrique venue tout droit d'outre-tombe à la fin du premier tiers du morceau ? Tout simplement impressionnant.
L'art de raconter des histoires. Ouvrir sur un titre comme "Asa", c'est un peu le calme avant la tempête, comme on dit. Car ce morceau a quelque chose d'emprunté à la musique classique dans son solo de guitare, comme une promenade mélancolique nous laissant errer avec naïveté et insouciance jusqu'aux intrigants grésillements électriques de "Vorel" et sa batterie sauvage libérant ensuite une guitare vrombissante qui n'a rien à envier à celle qu'on découvrait sur Memorial. C'est lugubre et pesant, épais et gras comme un fluide corrosif qui envahit chaque cavité de l'oreille et on se laisse mener en bateau tout le long d'un morceau à la narration si efficace que chaque nouveau riff nous fait littéralement oublier le précédent, comme si on en ne voulait pas voir (ou entendre) la façon dont ces trois gars-là nous avaient conduits jusqu'ici. C'est fort et ça prend aux tripes comme une angoisse qui ronge le corps mais captive l'esprit autant par la violence qu'elle libère que par la jouissance qu'elle génère. C'est magistralement orchestré et les deux morceaux suivants étaient enchaînés, on se laisse trimbaler jusqu'au silence, au noir complet en conclusion d'un "Afrika" qui suscite l'interrogation : ce titre a-t-il un rapport avec la photographie choisie pour le visuel de l'album ? Le doute est légitime. Bref, Russian Circles arrive une fois de plus à démontrer qu'il n'y a pas besoin de beaucoup de monde pour faire de la musique épaisse et dense comme un orchestre entier pourrait la produire. Sullivan en fait des tonnes niveau loopern cessant d'ajouter des lignes de guitares aux compositions pour créer cette incroyable atmosphère et ce volume propres à Russian Circles. Et ça marche ! Le talent du gaillard n'est pas dans sa capacité à pondre du solo interminable ou jouer plus vite que la lumière mais bien à architecturer une musique dont la profondeur est perceptible à l'oreille. Et quand sur scène, tout cela est exécuté à la perfection, on se dit que la version studio ne doit rien aux arrangements des ordinateurs.
Du beau et du grand Russian Circles. Le verdict est difficilement contestable : ces trois gars-là ont encore réussi à pondre un excellent album avec exactement les mêmes ingrédients que pour les précédents, et on en redemande encore. Guidance est une histoire sombre et dure, qui captive néanmoins par sa force et ses richesses. Mais lorsqu'on a adoré Enter, premier effort à la saveur toute particulière, on ne peut que regretter l'absence presque totale de ces fameuses lignes de notes dissonantes qui, semblerait-il, tendent à définitivement disparaître de la musique du groupe...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire