Artiste : Deftones
Album : Gore
Huitième Album
Sortie : 2016
Genre : Métal Alternatif, Rock Expérimental
Label : Reprise Records
Morceaux à écouter : Hearts/Wires,
Gore,
Phantom Bride
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La suite. Alors qu'un peu plus de deux ans séparent les sorties respectives de
Diamond Eyes et
Koi No Yokan, il aura fallu presque quatre ans à Deftones pour pondre un huitième album dont la pochette ne présente même plus le nom du groupe. Entre classieuse sobriété et choix pédant, il est assez difficile de reprocher quoi que ce soit à Deftones sur ce point tant l'effet est employé par d'autres groupes, souvent moins connus ou à la carrière moins imposante. Dans tous les cas, la bande originaire de Sacramento continue son petit bonhomme de chemin en proposant un opus dont le (poétique et lumineux) visuel contraste fortement avec celui de son prédécesseur. On notera toutefois le penchant qu'a le groupe pour l'ornithologie, cet album n'était pas le premier à présenter un volatile en guise d'artwork (souvenez-vous de
Diamond Eyes).
Carpenter vs. Deftones ? Si il y a bien une chose qui transparaît dans la discographie de Deftones, c'est l'ambiance qui règne au sein de la formation au fil de sa carrière (sans parler du physique de Moreno qui a littéralement joué au yo-yo).
Gore est cependant une énigme et fait office de casse-tête à ce sujet. Il est en effet très difficile de dire ici si l'album a été produit dans la douleur ou dans l'entente suite à des concessions faites par chaque membre, parfois dans la douleur, mais ayant permis le travail d'équipe. Le fait est que les interviews données par le groupe au moment de la sortie de
Gore mettent en évidence une forme de désaccord sur la direction musicale au moment de la composition des titres. D'un côté, certains membres défendent une réelle connivence entre les musiciens pendant les phases de composition et d'enregistrement (
interview en anglais) tandis que Carpenter reconnaît, à mi-voix, ne pas avoir réellement pris de plaisir à jouer sur cet album (
interview en anglais), concédant même qu'il ne "
voulait pas vraiment jouer sur cet album", allant jusqu'à ajouter qu'il "
ne compte pas quitter le groupe" mais que c'est un peu "
comme si le groupe le quittait". Des mots qui pourraient être anodins mais qui pèsent lourd sur la balance lorsqu'on sait ce qu'a déjà traversé Deftones. Le groupe est pourtant l'un des rares piliers du Néo-Métal des années 1990 à avoir su évoluer dans son approche musicale tout en survivant et conservant ses fans de la première heure, malgré des difficultés internes plus ou moins évidentes.
Une première écoute difficile. S'il y a bien une chose qui est très difficile - voire impossible - à faire, c'est écouter
Gore sans faire de comparaison directe avec
Koi No Yokan, dernier opus en date : les ingrédients sont sensiblement les mêmes, la guitare huit cordes est de sortie et les ambiances électroniques bien présentes, ce qui avait donné naissance à une véritable pépite en 2012. Ici, bien que l'ouverture sur "
Prayers/Triangles" soit justifiée par la rapide montée sonore opérée en début du morceau, l'aperçu de l'album fait avec ce titre est plutôt moyen : malgré des ambiances feutrées et quelques notes poétiques de clavier, la guitare de Carpenter sonne comme incroyablement molle, la frappe de Cunningham est bizarrement transcrite et le bonhomme propose un jeu qu'on ne lui connaissait guère, sans parler de la voix de Moreno d'une étrange douceur, les quelques cris en fin de morceaux sonnant plutôt comme un prétexte à rappeler que Deftones faisait du Métal, avant... On fronce gentiment les sourcils, à la fois surpris et curieux d'entendre la suite car c'est véritablement une forme de Rock planant qu'on découvre là, "
(L)Mirl" tâtant même le Post-Rock sur certains passages. Mais ce qui vient après fait rapidement déchanter : avec "
Acid Hologram" et tous les points forts qu'on pourra lui reconnaître, on peut aisément admettre que Carpenter se soit fait chier à jouer sur des morceaux comme celui-ci. Musicalement, ça traîne, c'est lent et manque cruellement d'attaque. Même Chino Moreno semble s'ennuyer profondément sur ce titre. Et il en va de même pour une bonne partie du reste de l'album. C'est un peu comme si chacun n'y croyait pas vraiment. Sauf que Deftones a déjà démontré par le passé que l'expérimentation n'était jamais mise de côté dans sa musique en sortant souvent des sentiers battus du Néo-Métal, genre que le groupe a bien labouré à ses débuts. Difficile, donc, de dire si tout n'est pas fait en âme et conscience pour explorer, tenter des choses et parfois même, réussir à en extraire une nouvelle essence qui mettrait en relief la capacité du groupe à innover et se renouveler. Quoiqu'il en soit, il y a un immense fossé entre
Gore et son prédécesseur et la première écoute s'achève ici avec peine, comme si l'essai n'avait cette fois pas été transformé.
Expérimentations. Au fil de sa discographie, Deftones a tenté pas mal de choses, il faut l'admettre. Mais chaque album n'a pas touché tout le monde de la même façon. Alors que pour certains,
l'album éponyme de 2003 était une véritable pépite qui succédait intelligemment à
White Pony, pour d'autres, l'étrangeté de cet opus, avec ces expérimentations et touches électroniques, en a perdu plus d'un, sans doute parce que s'éloignant un peu (trop ?) de l'identité du groupe à ses débuts. Mais toutes ces excentricités peuvent s'expliquer par les différents penchants musicaux de Chino Moreno qui l'ont mené à s'investir dans plusieurs
side-projects, notamment
Team Sleep dès l'année 2000, puis plus tard
Crosses ou
Palms (pendant que Carpenter, lui, se consacre à
Sol Invicto dès la fin des années 2000).
Gore semble donc faire un écart, s'autorisant certaines influences mais aussi certains caprices de Chino au détriment des avis de l'intégralité des musiciens. Entre les riffs de Heavy Métal sur "
Doomed User" joués à la huit cordes par Carpenter, les ambiances électroniques psychédéliques sur "
Xenon" ou les solos de guitare sur "
Phantom Bride" (avec Jerry Cantrell d'
Alice In Chains en invité),
Gore étale toute une galerie de nouvelles compositions et sonorités qu'on n'avait pas beaucoup l'habitude d'entendre chez Deftones. Une prise de risque évidemment respectable mais pas toujours facile à encaisser dans les oreilles, ce qui pousse parfois à se demander si c'est bien du Deftones qu'on est en train d'écouter ("
Geometric Headdress"). Au final, apprécier
Gore n'est pas une chose facile si on reste attaché à ce qui fait toute l'identité musicale de Deftones sur ses albums les plus emblématiques.
Double tranchant. Soyons clairs :
Gore n'est pas un mauvais album. C'est même un bon album de Rock (la plupart des critiques internationales l'ont plutôt encensé), notamment parce que c'est un disque qui essaie, qui explore et s'avère être une quête de nouvelles sonorités opérée par le groupe. Et c'est pas mal fait non plus, finalement. Mais ce côté expérimental n'est pas un très bon exemple de ce qu'a pu (et sait) faire de mieux Deftones. Cependant, la musique est une affaire de goûts et reste, comme toute forme d'art, quelque chose de très subjectif. Il y a donc des albums (bons ou mauvais) qu'on aime écouter, et d'autres non. En cela, certains ont aimé et d'autres reconnaîtront les points forts de
Gore, tandis que d'autres regretteront que cette suite de
Koi No Yokan n'ait pas été un prolongement de ce dernier. En ce qui me concerne, il y a peu de chance pour que j'écoute
Gore autant de fois que son prédécesseur ou que tout autre album de la discographie de Deftones à ce jour parce que, soyons francs, il est quand un peu chiant...