Difficile de passer à côté du clip qui fait polémique actuellement : "College Boy" d'
, le clip totalise plus de 400 000 vues en deux jours) qu'il faudrait être totalement "déconnecté" d'Internet pour ne pas avoir lu quelques lignes à ce sujet. Dans le cas où certains d'entre vous ne l'auraient pas encore visionné, il suffit de cliquer ci-dessous (
Plutôt culotté, n'est-ce pas ? Alors, évidemment, il n'est pas difficile de comprendre que mettre en images la mort d'un adolescent, violenté, puis crucifié et enfin tué froidement par ses camarades de classe ait un but premier : choquer. Le problème, c'est qu'on a bien vite fait de dire "choquer" dans le sens où ces images vont faire un buzz monstre, diviser les foules et voir pleuvoir les commentaires d'internautes prenant parti pour le groupe ou, au contraire, pour le blâmer. Un concept un peu réducteur qui se manifeste de plus en plus sur la toile où on peut donner son avis sur tout et n'importe quoi d'une façon qui permet de se faire entendre (on devrait plutôt dire "lire") par une très grande quantité de personnes, et ce très rapidement. Une réaction à chaud après avoir visionné ce clip ? il vous suffit de laisser un commentaire juste en dessous pour dire ce que vous en avez pensé, vous mettre du côté du groupe de musiciens qui a "osé", ou au contraire
faire partie de ces gens scandalisés par la violence des images. On vient donc rapidement à se poser une question implicite : à quel clan va-t-on appartenir ?
Face à un extrême, deux camps.
Depuis la nuits des Temps (façon de parler), il y a toujours eu une méthode très simple pour diviser les foules, que ce soit de manière intentionnelle ou non : toucher à un extrême. Dans n'importe quel milieu, accéder à un extrême aura généralement pour effet de créer deux types de "spectateurs" : ceux qui sont pour, ou qui défendent la cause, et ceux qui sont contre et qui dénoncent généralement les abus qui en résultent. Ces prises de position sont dans la majorité des cas des comportements subjectifs où l'individu se sent directement concerné par le sujet dont il est question. On a parfois du mal à comprendre, et on retrouve ce genre de schéma avec un personnage comme
Dieudonné, par-exemple, qui reste très ambigu.
Que ce soit en art ou en politique, tout le monde ne perçoit pas les choses de la même manière et ne se sent pas nécessairement concerné par les mêmes choses que ses semblables. Ce clip est donc le dernier objet en date proposé par
Indochine à ses spectateurs, ses auditeurs, ses fans. Une énorme prise de risque totalement consciente car le groupe savait l'effet qu'il aurait sur les foules même si certaines réactions semblent n'avoir pas été envisagées. Mais cette division, ce partage face aux images, n'est que la résultante des avis de chacun. Le groupe n'avait évidemment pas pour but de séparer ses fans en deux clans mais bien de montrer quelque chose et faire passer un message. Et on peut même aller jusqu'à dire que ce clip dénonce. Mais dénonce quoi ? C'est sans doute ce qui échappe souvent aux spectateurs qui attachent davantage d'importance à la forme qu'au fond.
Un clip ancré dans l'actualité.
Il n'y a pas si longtemps, c'est la France tout entière qu'on voyait s'affronter dans la rue (et encore aujourd'hui, de façon sporadique) au sujet de cette fameuse loi sur le mariage pour tous et la possibilité pour les homosexuels de se marier. Un sujet sensible qui a divisé le pays en deux clans : ceux pour et ceux contre. Ce genre de loi laisse peu de place au compromis : c'est tout ou rien, et ça marche dans les deux sens, pour les deux clans. Il y a très peu de gens qui restent partagés, hésitants, ou alors ce sont des personnes qui ne se sentent pas du tout concernées. Peut-on le leur reprocher ? Après tout, chacun pense ce qu'il veut (enfin, on le suppose).
Là où
Indochine fait fort avec son "College Boy", c'est qu'il traite justement de ce sujet sensible, l'homosexualité étant encore quelque chose d'incompris, de pointé du doigt, même dans un pays occidental et dit "civilisé" comme le nôtre. Oui, l'homophobie est partout et il suffit de suivre l'actualité pour s'en rendre compte (lire certains articles relatifs à
une étude menée dans le milieu du foot professionnel ou
quelques faits divers récents), même dans les cours d'école, au collège, au lycée, à la fac, et ce clip se veut le témoin de cette réalité. Mais ce qui choque davantage dans le clip, finalement, ce n'est pas le fait que cet adolescent soit mis à l'écart puis battu à mort par ses camarades parce qu'il est "différent" (le clip a l'intelligence de ne jamais préciser les raisons pour lesquelles cela arrive, l'homosexualité du personnage pouvant être une raison comme une autre finalement) mais tout simplement parce qu'on assiste à une mise à mort sur la place publique : la cour de l'école en l'occurrence. Le fond est là mais la plupart des spectateurs retiennent la forme. Pourtant, tout le monde sait que la vie d'un écolier ou d'un ado, tout simplement, est loin d'être facile. Les médias nous rapportent bien assez souvent certains faits divers glauques au possible où le meurtre et le suicide sont récurrents. Le clip d'Indochine serait donc le reflet de l'actualité ? Et ça dérange ? Pourquoi ?
Des images qui choquent.
On a pour habitude, par pudeur, mais aussi pour se protéger et surtout protéger la jeunesse, de ne pas diffuser d'images violentes ou choquantes à la télévision. Le problème, je pense, c'est qu'on est dans
une société violente et qu'on aura beau éviter de trop en faire, trop en montrer, il y en aura toujours. Dans certains films, on assiste à de véritables massacres, pourtant. "Oui, mais c'est du cinéma" diront certains. Alors pourquoi lorsqu'un groupe comme
Indochine sort un clip tel que celui-ci, tout le monde s'offusque ? Ce n'est qu'un clip, après tout. La réponse est simple : parce qu'il est tellement réaliste qu'il fait peur, qu'il dérange, qu'il choque.
Pourtant, le travail de Xavier Dolan, jeune réalisateur du clip, est esthétiquement beaucoup plus proche de la vidéo artistique que de la vidéo filmée avec un téléphone portable dans une cour de récré. Au premier visionnage du clip, je n'avais même pas remarqué son format : pratiquement carré, une véritable lucarne. Exit l'écran panoramique 16/9 qui nous rappellerait le grand écran du cinéma et la fiction. Mais l'utilisation du noir et blanc et du ralenti dénote bien là une volonté artistique plus que le fait de montrer des images exprimant une violence gratuite. On est donc face à un étrange paradoxe qui tend à sortir la scène de la fiction mais qui en même temps s'éloigne aussi d'images crues et prises sur le vif, la mise en scène, le montage et le cadrage étant d'une grande richesse ici.
Des images qui ont un sens.
Quand je parlais de la forme l'emportant sur le fond, je me base sur pas mal de commentaires réagissant au sujet de ce clip et qui se limitaient à critiquer et dénoncer la violence des images. Certes, les images sont insupportables, mais le travail de Xavier Dolan est d'une infinie richesse, chaque plan, chaque élément de sa vidéo ayant un sens qui reste parfois obscur et qui peut être interprété différemment selon le spectateur. Je suis tombé hier sur
la réaction de Loka suite à son visionnage du clip et où elle explique très clairement ce qui dérange tant de monde, mêlant son expérience personnelle et sa réaction à chaud (
voir la vidéo).
Comme il serait long et fastidieux de décortiquer l'intégralité du clip et ses symboles, je ne me limiterai qu'à ceux qui m'ont vraiment marqués. Le premier détail, qui à mon sens fait toute la différence et l'intérêt du travail de Xavier Dolan, c'est l'apparition des bandeaux sur les yeux des enfants lors du match de basket. Les incidents du début du clip qui apparaissaient comme anodins, comme de simples brimades, deviennent clairement de la martyrisation et dès lors, tout le monde fermera les yeux sur la suite des évènements. Il y a dans ce symbole du bandeau une dénonciation d'un comportement qui ne se limite pas à la cour de récréation mais qui s'étend bien à l'intégralité de nos sociétés contemporaines : l'individualisme et l'auto-protection nous poussent à ne plus intervenir lors d'évènements qui ne nous concernent pas directement, aussi tragiques soient-ils. Le choix du bandeau sur les yeux est très intelligent car il est visible rapidement et on identifie facilement ceux qui le portent (ou pas) dans le clip. Ainsi, il n'y a pas que les autres enfants spectateurs de la scène qui le portent mais les deux policiers intervenant après les faits, comme pour symboliser (et dénoncer ?) l'impuissance de la loi face à des problèmes de cet ordre et ayant lieu dans le cadre scolaire (
Loka résume très bien ce point de vue dans son témoignage).
Mais il y a tout de même quelques détails qui me dérangent un tantinet. Le clip pourrait être complètement universel s'il n'y avait pas un gros plan sur une prise électrique propre à celles utilisées aux États-Unis, si il n'y avait pas le personnage du cow-boy (qui lui non plus n'a pas les yeux bandés) et dont le coup de sifflet rappelant les élèves à l'intérieur de l'école a plus d'impact que les policiers eux-mêmes... On pourra souligner le rapport aux armes à feu dans ce contexte, qui nous rappelle irrévocablement le problème de poids qu'elles soulèvent outre-Atlantique et dont on entend régulièrement parler dans les médias (souvent suite à des meurtres ou autres faits divers de ce genre, malheureusement). Mais la violence, qu'elle soit entre les enfants, entre les adultes, à l'école ou dans la rue, est malheureusement partout, c'est un fait.
College Boy : une réussite ?
Je ne m'étalerai pas sur les autres symboles, ô combien nombreux, qui figurent dans ce clip. Ils sont tous plus ou moins identifiables et relativement faciles à interpréter. Maintenant, la question est de savoir si ce clip est nécessaire ? une erreur ? ou une réussite ? J'éviterai de trop m'aventurer sur la voie chaotique de la prise de parti franche et irrévocable car, comme dit plus haut, c'est à chacun de le prendre comme il le veut. Personnellement, je suis favorable à ce clip qui, au delà de la polémique qu'il aura entraîné, est une œuvre bien réalisée, riche de sens et à l'esthétique forte. Mais ce que je retiens surtout, c'est la réaction du CSA et de certaines personnes à des postes importants qui critiquent de façon virulente ce genre de clip. Que le clip ne soit pas diffusé à certaines heures de la journées, c'est compréhensible. Qu'il soit estampillé d'un "interdit aux moins de 16 ou 18 ans", ça paraît (presque) légitime. Mais est-il nécessaire de le censurer ?
Si une œuvre au message aussi fort que celle-ci vient à être censurée, il y aurait alors beaucoup d'autres choses à censurer selon moi. Le cinéma a toujours jonglé avec les limites de la violence ("
Orange Mécanique", "
American History X", la série des "
Saw" ou encore "
Hostel" et j'en passe car la liste est immense) et ce n'est pas le premier clip musical où j'ai l'impression de voir quelque chose de braiment abusé, et je ne parle même pas de certains rappeurs aux propos beaucoup plus dérangeants et critiquables selon moi. Deux autres clips me viennent en mémoire. Le premier, plutôt "soft", est celui de
Pendulum pour "
Voodoo People". Pas d'images choc ou de cruauté comme dans "College Boy" mais un fond tout aussi dérangeant : des personnes mettant leur vie en péril pour une récompense qu'on suppose être de l'argent, même si cela n'est pas montré dans le clip. Le second est celui de
Justice pour "
Stress" qui lui, par contre, m'a beaucoup plus révolté que le clip d'Indochine. Le clip de "Stress" est tellement réaliste qu'il dépasse l’œuvre artistique. Le travail de Xavier Dolan a au moins le mérite d'arborer une esthétique léchée et d'utiliser des symboles pour communiquer. Si ce clip avait été tourné en vitesse normale et que les autres personnages passifs ne portaient pas de bandeaux, je l'aurais trouvé tout aussi dérangeant que le clip de
Justice car là, le message aurait été beaucoup moins clair. Or, et c'est là que "College Boy" est pour moi une réussite, la prise de position du réalisateur et du groupe est claire. Il y a un problème, et il faut le montrer pour le mettre en évidence. Que ça choque, cela reste subjectif car, personnellement, bien que les images soient atroces et difficilement défendables, l'oeuvre est quant à elle tout à fait sensée et intelligemment pensée.
Après, c'est comme le reste, chacun y voit ce qu'il y voit et en pensera ce qu'il voudra.